Les couleurs primaires de l'architecture urbaine
Je ne sais pas si vous l'aviez remarqué, mais l'on reconnaît à tout coup une
école primaire aux huisseries des fenêtres, invariablement de couleurs criardes,
jaune, bleu, vert ou rouge. Les façades sont lisses (un an d'âge) ou craquelées
(deux ans d'âge).
Quel est le message de ces huisseries ? Rappelons-nous des
pensionnats des années 50. des images vous viennent à
l'esprit : les 400 coups de Truffaut, Zéro
de conduite. Les pissotières sinistres, les lits à barreaux, les
pyjamas de tergal, le savon jaunâtre, les coupes en brosse, le surveillant
général, les murs gris.
Bref, l'école d'antan évoque la prison.
Rien de
tout cela aujourd'hui. Nos écoles primaires sont
sympas. De gentils coloriages aux murs, et surtout,
surtout, des couleurs vives. Nous sommes là pour nous amuser (oublions un
instant que la compétition commence maintenant dès le
CP, d'accord ?). Nous sommes là pour être heureux.
Vous ne le voyez toujours pas ? Admirez les entrées de ville, si décriées,
si faussement décriées : des centres commerciaux
sympas, (oh ! Le gentil hippopotame du restau, oh !
les belles couleurs du McDo, oh ! les jolies couleurs du Conforama !). Mais le
client est roi, n'est-ce pas ? Le client ne doit jamais (jamais
! ) oublier qu'il vit l'âge d'or de l'humanité, le client ne doit
jamais oublier que le passé est ténèbres et grisaille (quand on pense qu'en
1975, il n'y avait que du concentré de tomates comme sauce !). Le mouton est
tondu, mais avec une tondeuse fluo.
Toujours pas convaincu ? Bien. Entrons
plus avant dans la ville. Après les commerces, les pavillons. Ah! On est loin
des mesquines maisons grises d'antan (ces maisons qui bordent les rues
principales des sinistres petits villages). A l'âge d'or, le peuple a conquis le
droit citoyen de vivre dans une villa d'un
quartier résidentiel. Là encore, admirez les couleurs
des façades. Jaune crème onctueux dans le Nord, Rose saumoné dans le Sud. Et le
petit morceau de gazon démocratique (arrosé de pesticide, bien entendu), juste
devant les palmiers bordant la chaussée! On est loin du platane vulgaire, tout
juste bon à ombrager le populo à casquette pratiquant son sport de ringard, la
pétanque, tout en buvant son pastis.
Non, ici, voyez-vous, c'est un quartier
sympa. Silence, calme, et hypermarché à dix minutes.
Oh, bien sûr, le centre-ville n'est pas oublié, nous y allons acheter notre
pain le dimanche, et quelques tranches de Serrano chez le charcutier (pardon :
le traiteur). Mais ces immeubles, mon Dieu ! D'un gris
plâtreux, et il doit y faire si sombre…
Continuons notre chemin. Après le
quartier résidentiel, voici (sonnez trompette, roulez tambour!) le
nouveau quartier de standing de la cité : à cinq
minutes (à pieds!) du cœur historique, dix immeubles luxueux (mais pas trop
haut, bien sûr, nous ne sommes plus dans les années 70, nous avons
postmodernement corrigé les dérives de cette époque) vous attendent.
Là
encore, même scénario : façades crème (ou rose saumoné), mais quelque chose
cloche. Le piéton se fait rare, le touriste ne vient pas. Pourtant, entrons dans
l'un de ces immeubles, entrons dans un appartement : tout y est propre,
spacieux, confortable, net.
Mais c'est à
l'intérieur.
Incontestablement, le goût intérieur s'est
amélioré depuis quelques décennies : plus d'affreux papier peint dégoulinant de
fleurs. Plus de meubles sinistres, massifs, noirs. Plus de cloisons entre salon
et salle à manger. Plus de grosse horloge au tic-tac obsessionnel.
Lorsqu'il
s'agit de nous, fini de rire, fini le sympa, fini les
couleurs criardes des façades, fini le béton bon marché des façades. Chez nous,
nous voulons du high-tech, du 16/9e, du canapé cuir, du four électronique.
La façade? La laideur des immeubles? Ah oui, mon bon monsieur, c'est laid,
certes, mais que voulez-vous, c'est comme ça. Le beau
ça coûterait trop cher (dit l'homme moderne, pourtant persuadé que l'on crevait
de faim au XIXe siècle).
Ainsi parle l'homme moderne, ainsi le Grand Parc
d'Attraction Mondial continue de ronger nos villes et nos campagnes, ainsi
progresse l'écolmaternellisation du monde.
Fun les allocs ! youpie :)
kikoolol l'école ;)
pas fun, le vieux bois :(
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