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LINGANE
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5 mars 2010

Thibaudet contre Maurras

M. Maurras a fait beaucoup de bien à l'idée royale en prouvant qu'elle était la doctrine supérieure des systèmes de gouvernement.

Mais M. Maurras lui a fait parallèlement beaucoup de mal en essayant de prouver qu'une monarchie était essentiellement décentralisatrice. Il a ainsi donné du grain à moudre à l'extreme-droite (toujours un tant soit peu féodaliste, toujours un tant soit peu décentralisatrice), aux Républicains (à qui il donne le beau rôle de défenseurs de l'Etat français) et aux séparatistes régionalistes (qui peuvent ainsi assimiler la France à un mythique "Etat jacobin centralisateur".

Les lecteurs fidèles de ce blog savent que nous pensons, nous, que c'est faux, que jamais les Jacobins ne furent de grands défenseurs de l'Etat de France, et que s'ils le furent, ce ne fut que provisoirement et tactiquement.

Le grand Albert Thibaudet va dans notre sens en écrivant les lignes suivantes :


L'époque même de Louis XIV paraît à M. Maurras non un âge d'or — ne chargeons
pas — mais un âge normal durant lequel l'Etat tenait registre de ces
groupements [cad les corps intermédiaires, noblesse, magistrature, etc.], les respectait,
parlementait avec eux. En réalité je crois bien que si, au sujet de ces corps,
de ces associations, on leur
eût proposé le texte de M. Maurras et celui-ci, de M. Hanotaux, les
ministres de Louis XIV eussent préféré le sens, l'esprit, les directions
politiques de ce dernier. Des difficultés compliquées naissent, écrit
l'historien de Richelieu [cad Hanotaux, NDLR] dans son Histoire de France contemporaine :
« quand, dans la masse du corps social, se sont introduits, soit par le
temps, soit par l'usage, des groupements particuliers, qui tendent à
se développer, à se fortifier sans cesse : les aristocraties, les associations,
les Eglises ; l'existence de ces corps peut devenir générale et même
douloureuse quand ils exagèrent leur prétention à une vie indépendante,
au maintien ou à l'accroissement de certains privilèges. C'est
alors que se pose un autre problème, qui a occupé toute l'histoire de
France, le problème des Etats dans l'Etat.
Classe, caste, commune,
province, noblesse, magistrature, tous construisent à l'abri de la
société leur forteresse contre la société, et, au point précis où commencent
leurs revendications propres, ils plantent hardiment un
écriteau avec ce mot, toujours le même, liberté. »

La plupart de nos difficultés, observait Montaigne, sont grammairiennes.
M. Maurras, défenseur des associations, et M. Hanotaux,
procureur de l'Etat, disent au fond la même chose, s'expriment en
mots idéaux qui ont les mêmes racines, les mêmes groupes de consonnes,
mais qui se manifestent avec des voyelles, des attitudes, un
vent oratoire opposés. En réalité il n'y a pas d'Etat sans associations
avec lesquelles il entretient des rapports amicaux, indifférents ou
hostiles. Les associations se considèrent comme antérieures à lui,
de droit au moins égal à lui, et l'Etat estime au contraire qu'elles
n'existent que par sa permission et sa tolérance. Mais cet échange de
points de vue entre les deux côtés fait partie de l'existence, de la nature,
des rapports nécessaires entre l'un et l'autre.
— Oui, mais enfin laquelle des deux théories est vraie } — L'oeuf est-il né de la poule ou la poule
de l'oeuf? L'individu est-il un produit des sociétés ou les sociétés sontelles
composées d'individus ? L'Etat se forme-t-il de sociétés ou les
sociétés existent-t-elles par délégation de l'Etat ? Est-ce ou non l'existence
et le primat de l'Etat qui distinguent les sociétés supérieures,
anciennes ou modernes, des tribus inorganiques ? Ces questions de
droit, qu'on les résolve dans un sens ou dans l'autre, apparaissent
comme des abstractions de légistes, nous font mieux sentir la courbe
et le mouvement de la vie qui les traverse et les dépasse.
Si de ces généralités on passe à des questions d'espèce, les seules
qui soient susceptibles de sortir de la dispute grammairienne, on
jugera, je crois, qu'appliquée à l'Etat français la page de M. Maurras
est historiquement forte, et politiquement faible, et celle de M. Hanotaux
historiquement faible et politiquement forte. La France,
comme tous les Etats modernes, est formée d'une construction coutumière
et féodale et d'une construction romaine et politique, la
première antérieure chronologiquement (dans la France d'oïl au moins)
à la seconde. Le droit a d'abord été une coutume, la royauté a d'abord
été une constitution féodale, qui a acquis peu à peu la suprématie sur
les autres institutions féodales, les a ployées et pétries selon les directives
qui ont, consciemment ou inconsciemment, présidé à la formation
de tous les Etats modernes. Les « sociétés » ont d'abord été ce que dit
M. Maurras, puis l'Etat les a qualifiées à peu près dans les termes
qu'emploie M. Hanotaux. Ces groupements, aristocraties, associations,
Eglises, sont accusés de s'être introduits abusivement et malicieusement
dans le corps de l'Etat, qui se promet bien de prendre médecine.
— Mais, répondent-elles timidement ou font-elles répondre
par leur syndic M. Maurras, il y avait une noblesse, des associations
communales, une Eglise avant qu'il y eût un Etat : que pouvions-
nous lui faire quand il n'était pas né ? C'est l'Etat qui s'est
formé, agrandi, avec notre secours et aussi à nos dépens. Vous
gémissez sur le problème des Etats dans l'Etat. Cette expression
prend depuis Richelieu le sens de maladie grave qui appelle des
remèdes énergiques. Mais l'Etat a d'abord été un Etat d'Etats. Il s'en
trouvait bien. Pourquoi ne le serait-il pas encore ?
— C'est de l'histoire et du passé, ce n'est pas de la politique et du présent. Les Etats
ont existé avant l'Etat comme les coches ont existé avant les chemins
de fer. Reviendrons-nous pour cela aux coches ? On vous l'a dit, à
propos d'un texte de M. Charles Benoist, qui descend, aussi bien que
M. Hanotaux, des légistes de Philippe le Bel, l'Etat moderne est un
Etat où tout se fait par la loi, où tous les rouages sociaux sont mus par
cette électricité invisible. Ce n'est pas le moment de venir nous proposer
vos lourdes machines.
— Mais êtes-vous légistes et centralisateurs avec une conscience aussi bonne que vous le dites ? Si cette pente de l'Etat moderne était si nécessaire qu'il vous semble, comment se fait-il
que tous les partis chez nous soupirent après la décentralisation ?
— C'est une question de mesure. Nous songeons en etfet de à bonnes
lois de décentralisation. Elles sont à l'étude. Une commission...
—C'est ici que je vous tiens. Ce que vous appelez l'Etat moderne est
une machine pléthorique et mal agencée. Votre peur des Etats dans
TEtat dénote la faiblesse d'un vieil Etat catarrheux et rhumatisant.
Un Etat fort, c'est-à-dire l'Etat monarchique, n aura pas peur des
Etats, des corps, des associations, de l'Eglise. Pour qu'il décentralise
il faut qu'il n'en ait pas peur, pour qu'il n'en ait pas peur il faut qu'il
soit fort, pour qu'il soit fort il faut qu'il ait un roi. Vous m'avez donné
raison pour le passé, sur le terrain historique. Quand les corps, les
sociétés, seront soustraits à la centralisation qui les empêche de se
développer ou d'être, notre idée se vérifiera sur le champ du présent,
dans l'ordre pratique et politique.
Un décentralisateur doit être monarchiste, parce qu'un pouvoir
héréditaire seul peut décentraliser et qu'un pouvoir électif ne le peut
pas : en diminuant ses prises sur l'électeur, celui-ci scierait la branche
sur laquelle il est assis.
En théorie c'est vrai. En fait que voyons-nous ?
La monarchie française jusqu'à Louis XVI a toujours accompli
oeuvre d'Etat, oeuvre centralisatrice
. Louis XVI le premier fait machine
en arrière, avec le rétablissement des Parlements et les Assemblées
provinciales ; mais d'abord les résultats sont des plus médiocres,
ensuite Louis XVI décentralise non en tant que pouvoir fort, mais
en tant que pouvoir faible et sous la pression de l'opinion, des idées
révolutionnaires. Car les idées révolutionnaires sont des idées décentralisatrices,
follement décentralisatrices comme en témoignent les
constitutions de 1791 et de 1793. C'est contre ces idées que le gouvernement
révolutionnaire dut être, sous la pression de l'état de siège,
impitoyablement centralisateur. Depuis la Révolution, aucun gouvernement
héréditaire n'a décentralisé, et les mesures décentralisatrices,
parfois exagérés ou maladroites, sont dues à des gouvernements
électifs
(loi Falloux, lois sur les conseils généraux, sur l'élection des
maires, sur les Universités, sur les associations).

Et voilà.


Du reste, il est comique de voir les derniers maurrassiens de l'Inaction Française continuer à répéter le dogme martégal de la "République férocement centralisatrice", en choeur avec leurs ennemis gauchistes et régionalistes, alors que, depuis 1969, nous descendons, inexorablement, un escalier qui porte le nom de décentralisation. Les faits sont avec moi et c'est donc la vision du PSR qui est la seule vérité du royalisme.



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Commentaires
B
Il ne s'agit pas de faire dire 0 maurras ce qu'il n'a jamais dit.<br /> En l'occurence, d'affirmer que la décentralisation était le fait de tous les rois. Maurras voyait cette politique interne d'un point de vue "moderne", nécessaire en son époque. Les corps intermédiaires étaient pour lui des contre-fous utiles de la puissance royale, sorte de d'auto-régulationdu pire comme du meilleur.<br /> Voilà ce qu'en disait Maurras de son vivant:<br /> <br /> "L'idée de décentralisation - C Maurras<br /> <br /> Voici une très belle chose sous un très méchant mot. On appelle « décentralisation » un ensemble de réformes destinées à reconstituer la patrie, à lui refaire une tête libre et un corps vigoureux. Un tel nom a l'aspect d'une véritable antiphrase: de forme négative, il est essentiellement positif; critique, il signifie un regain de vie organique; d'allures anarchiques ou du moins libérales, il enferme l'idée d'un ordre; enfin, par la composition comme par le nombre et le poids des syllabes, il semble désigner quelque système artificiel, lorsqu'il annonce la doctrine du retour à nos lois naturelles et historiques. En outre, il est fort laid. Néanmoins, pour être compris, nous avons dû nous servir de ce nom fâcheux. Il fait oublier les défauts qui lui sont propres à mesure qu'il développe dans les esprits la vérité et la richesse de son sens.<br /> <br /> Positivement, la civilisation peut-elle faire une « ascension continue vers l'unité et l'harmonie » ? Cela se peut, mais le contraire se peut tout aussi bien. Le mouvement civilisateur peut tendre, en somme, à des différences aussi probablement qu'à des ressemblances. Pour moi, j'hésite là-dessus et non seulement sur le point de fait, mais sur le point de droit : faut-il souhaiter que l'univers s'unifie? je n'en sais rien au juste, pas plus que je ne sais s'il aspire à cette unité. Admettons que cette unification sera bonne. Résulte-t-il de là que cette unité ou cette harmonie doivent détruire toutes les variétés naturelles? Une unité peut être simple ou synthétique. Ce ne peut être l'unité simple qui ait des chances d'être réalisée ici, mais une unité synthétique, un accord d'éléments divers. Si cet accord constitue un progrès véritable, il faut que les diversités soient conservées dans leur richesse primitive, sans quoi ce qui serait gagné en ordre et en discipline serait reperdu d'autre part, du chef des caractères ordonnés. L'harmonie désirée du monde ne peut donc consister qu'en un ordre meilleur des variétés existantes, nullement en leur suppression. Mais, si ces variétés-là et ces différences subsistent, en quoi une harmonie paisible et spontanée du tout peut-elle nuire à l'autonomie des parties? Elle la suppose, au contraire. Que ces parties puissent un jour profiter de l'ensemble des ressources du tout, cela est admissible; mais qu'en même temps elles puissent jouir et disposer des leurs propres plus librement, cela n'est guère discutable, et le programme fédéraliste ou décentralisateur ne pose rien de plus. Une vie particulière très vigoureuse n'a rien, en effet, qui exclue des échos purs et nombreux de toute la vie d'alentour.<br /> <br /> « La vie intellectuelle provinciale doit être ranimée par tous les moyens possibles. » Et quels ? Il n'y en a qu'une sorte: obliger tous les citoyens à s'occuper des finances et du reste de la politique locales, cesser de les en décharger sur un fonctionnaire. De ces humbles travaux ils passeront, s'ils en sont capables ou quand ils en auront senti le désir, à des soins intellectuels. Procéder autrement, c'est fonder en province des succursales de Paris; c'est poser des miroirs, non point allumer des foyers. La décentralisation intellectuelle, même universitaire, n'est qu'un mot si elle n'émane de la vie morale et politique du milieu où elle est produite. La décentralisation intellectuelle, on ne saurait trop le dire, n'est pas un commencement, mais un aboutissement; c'est une fin, non une cause, une fleur, non une racine. Elle naît, on ne la décrète pas dans un bureau de ministère. Mais on peut, à la vérité, en obtenir quelques semblants. On peut appeler phénomènes de «décentralisation intellectuelle» de simples faits d'association morale et professionnelle établis en province, mais nullement provinciaux. Je les crois bons et excellents, par exemple sous la forme universitaire qui a déjà donné des résultats de premier ordre.<br /> <br /> Dans une nation désorganisée comme la nôtre, toute minorité que des circonstances ou des habitudes particulières tiennent unie y devient facilement prépondérante; car elle rencontre pour adversaires non des unités politiques comme elle-même, mais des personnes isolées qu'elle vainc une à une. Dans la même nation désorganisée, l'Etat seul a un privilège analogue aux corporations du passé. Si notre institution politique était stable, le privilège des fonctionnaires de l'Etat serait exorbitant: il ne l'est point, par suite des menaces qui pèsent sur eux, de la nécessité de l'avancement qui les fait dociles non seulement envers leurs chefs, mais encore envers quiconque les peut servir ou desservir, c'est-à-dire envers la nation presque tout entière. Si l'on excepte les officiers, qui ne vivent point de la vie commune, il est aisé de voir que tous les fonctionnaires, même les juges et les prêtres, ont été réduits à ce degré d'agents administratifs, c'est-à-dire de serviteurs universels. Ils souffrent donc comme les autres du commun droit individualiste. Un seul groupe de fonctionnaires doit être excepté de la règle, car il a été systématiquement affranchi et forme dans l'Etat un Etat solide et puissant, de plus en plus soustrait à tous les arbitraires, ayant ses tribunaux, sa discipline et son autonomie: c'est le corps enseignant. Les membres de ce corps, étroitement liés, tirent de là leur influence sur tous les Français désunis. Influence sans contrepoids, puisqu'il n'y a point d'autre corporation légale. Dans un pays où tout le monde est « déraciné », il leur pousse, à eux, des racines, et vivaces déjà.<br /> <br /> Jadis les opposants critiquaient la centralisation comme l'instrument peu discret du pouvoir gouvernemental. Aujourd'hui elle est critiquée en elle-même. Ceux qui détiennent le pouvoir s'aperçoivent que cette centralisation excessive compromet les graves intérêts dont ils ont le dépôt et les accable de responsabilités superflues. Dépouillons l'Etat de ses minimes mais désagréables privilèges qui ne sont qu'un instrument de tyrannie locale aux mains des fonctionnaires trop zélés et omnipotents ; mais resserrons précieusement le faisceau invincible des forces qui correspondent à la mission supérieure de l'Etat, qui lui permettent de représenter notre sécurité collective, notre fierté nationale, notre grandeur extérieure. En somme, il faut changer le principe même des institutions de l'an VIII. En donnant à l'Etat mille distractions importunes, elles l'ont affaibli dans son oeuvre propre. Elles lui ont fait perdre encore de sa force par les sentiments de paresse, d'impatience, de dégoût et d'inimitié qu'excite chez les citoyens son intervention continue. Négligent des grandes affaires et trop soucieux des petites, cet Etat centralisateur pousse la France à l'anarchisme et la détache de toute idée de patrie. Pour sauver le patriotisme, il faut réformer la patrie, comme il faut réformer l'Etat pour sauver la notion de gouvernement.<br /> <br /> L'Etat français sera conçu non pas moins « un », sans doute, mais uni suivant des principes plus souples, plus conformes aux richesses de sa nature, plus convenables à nos murs, et qui établiront une meilleure division du travail politique. Aux communes les affaires proprement communales, les provinciales aux provinces; et que les organes supérieurs de la nation, dégagés de tout office parasitaire, président avec plus d'esprit de suite et de vigueur à la destinée nationale. Ainsi ramené à ses normales attributions, le pouvoir central les verrait aussitôt affermies et développées. Une France où seraient fixées et garanties les libertés particulières des Villes et des Provinces pourrait, à l'exemple de plusieurs autres nations fédératives, assurer plus de stabilité et d'indépendance à l'organe capital du pouvoir suprême, gardien de l'Unité, dépositaire des traditions politiques, fidèle commissaire de la fortune du pays, préparateur, directeur et exécuteur de ces longs et vastes desseins par lesquels un peuple se conserve et se renouvelle, reste libre et devient puissant.<br /> <br /> Les nationalistes et aussi ces esprits modérés, éclairés, gouvernementaux, aujourd'hui si nombreux en France dans les partis les plus divers, songent sérieusement à renforcer l'Exécutif, à réfréner la turbulente agitation parlementaire, à mettre plus d'ordre, de continuité, de puissance effective dans les sphères supérieures de l'Etat. Je les prie de songer que cette stabilité rêvée, cet affermissement, ce développement des forces de la France ne sont possibles qu'après une décentralisation très complète et très large. Seule, la solution de ce premier problème rend posables, abordables et solubles les autres. Ils en dépendent; ils y sont, à la lettre, subordonnés. Qui voudra réorganiser notre nation en devra recréer les premiers éléments communaux et provinciaux."<br /> <br /> Merci pour votre petite remarque sur FDS. Vive le roi quand même :)
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